Malgré plusieurs renforcements récents de sa législation, l'Allemagne reste une destination privilégiée pour le blanchiment d'argent. Pourtant, les entreprises aussi ont l'obligation légale de jouer un rôle actif dans la lutte contre ce délit. Cet article vous explique en quoi consiste le blanchiment d'argent et la manière dont il exploite les transactions immobilières et en espèces en Allemagne. Découvrez par ailleurs les mesures adoptées par l'État allemand pour lutter contre ce phénomène, les sanctions pénales applicables et où l'Allemagne se situe dans ce domaine par rapport aux autres pays.
Sommaire
- Définition du blanchiment d'argent
- Modes opératoires
- Méthode basée sur les liquidités
- Méthode basée sur les biens immobiliers
- Mesures allemandes de lutte contre le blanchiment d'argent
- Sévérité des sanctions
- Situation de l'Allemagne par rapport aux autres pays
Définition du blanchiment d'argent
Le blanchiment d'argent est décrit comme l'injection dans des circuits financiers et économiques légaux de fonds acquis illégalement. Dans l'impossibilité de simplement déposer leurs gains illégaux sur leur compte bancaire (sous peine d'éveiller les soupçons), les criminels tentent de dissimuler l'origine de ces fonds. Pour ce faire, ils font transiter l'argent via différents comptes ou différentes sociétés, dans le but de faire disparaître toute trace d'activité criminelle. L'« argent sale », généré par exemple grâce au vol, à la corruption, à l'extorsion, aux jeux illégaux ou au commerce d'armes et de stupéfiants, est ainsi converti en « argent propre ». Il échappe ainsi au contrôle de l'État. Le blanchiment d'argent a souvent un lien avec le crime organisé et les organisations mafieuses.
L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) estime que 800 à 2 000 milliards de dollars américains sont blanchis tous les ans dans le monde. Cette situation se veut problématique, car elle engendre pour les trésors publics la perte de milliards en taxes qui devraient être réinvestis pour servir l'intérêt général. Par ailleurs, le blanchiment introduit un désavantage concurrentiel pour les entreprises honnêtes dont les concurrents ont recours à l'argent sale. Outre les défis économiques, ce phénomène pose à la société un autre problème de taille : chaque dollar ou euro blanchi renforce l'emprise du crime organisé et crée un risque pour la sécurité au sens large. Concrètement, le blanchiment d'argent fournit aux criminels et aux terroristes les fonds nécessaires au financement de leurs activités illégales.
Mode opératoire
L'Office fédéral allemand de la police criminelle scinde le processus de blanchiment d'argent en trois étapes. Lors de la première, dite de « placement », l'argent illégal est d'abord injecté dans les circuits économiques légaux, par exemple via le versement d'importantes sommes à des établissements de crédit, le recours à des services de transfert d'argent, ou encore l'achat en numéraire de biens coûteux. L'objectif premier est généralement d'acheminer sur un compte d'importants montants dont l'origine n'est pas connue. En Allemagne comme dans les autres pays, ce processus s'appuie sur l'exploitation de divers types d'établissement, notamment des restaurants, des casinos, des boutiques de paris ou des maisons de jeu. Dans le principe, il est possible de blanchir de l'argent par l'intermédiaire de toute entreprise qui utilise des liquidités. Afin de pouvoir dissimuler des sommes importantes, les criminels privilégient les secteurs où les espèces circulent de façon intensive. Les entreprises d'import-export constituent par ailleurs d'autres façades qui permettent de dissimuler le blanchiment d'argent. Dans cette approche, les malfaiteurs utilisent de faux chiffres d'importation et d'exportation pour injecter leurs gains mal acquis. Elle implique souvent l'utilisation d'importants réseaux et structures.
La deuxième étape, dite de « dissimulation », mobilise des transactions complexes réalisées pour dissimuler l'origine des fonds. Ces transferts d'argent peuvent passer par des sociétés-écrans ou prendre la forme de transactions fictives ou encore de virements effectués entre différents comptes bancaires, pays et devises. Leur objectif est de faire disparaître tout lien entre les fonds obtenus illégalement et leur source.
Lors de la troisième étape, ou « phase d'intégration », l'argent qui émane en apparence d'une source légale est mis en circulation, jusqu'à revenir aux mains des criminels qui peuvent alors l'utiliser comme de l'argent obtenu tout à fait légalement.
Méthode basée sur les liquidités
Les restaurants sont couramment utilisés pour le blanchiment d'argent. Le principe consiste pour le propriétaire à enregistrer dans son système plus de clients que ceux réellement servis. L'argent liquide illégal utilisé pour payer les repas fictifs est alors inscrit dans les registres de compte, bien qu'aucun plat n'a jamais quitté la cuisine. Les fonds illégaux deviennent instantanément un revenu réel soumis à des taxes, mais propre en apparence.
Les casinos, dont les propriétaires manipulent d'importants volumes d'argent liquide, sont un autre exemple d'établissements utilisés pour le blanchiment. L'argent illégal y est échangé contre des jetons, dont les joueurs n'utilisent qu'une petite partie avant d'échanger le reste contre de l'argent propre. Cette approche présente néanmoins ses limites. Dans la mesure où les joueurs ne reçoivent généralement aucun reçu, il n'existe aucune preuve que l'argent provient d'une source légale. Par ailleurs, il n'est souvent pas possible non plus de verser les fonds sur un compte. Néanmoins, la donne change avec les casinos en ligne. Dans ce cas de figure, les gains sont versés sur un compte bancaire. S'il n'est ici bien entendu pas question d'utiliser d'argent liquide, celui-ci peut toutefois être transformé en moyens de paiement plus ou moins anonymes, à l'image des cartes de paiement, des portefeuilles électroniques et des cryptomonnaies.
Pour les criminels, il est particulièrement facile de blanchir de l'argent par le biais de paris sportifs à taux fixe. Il leur suffit pour cela d'adopter une technique d'arbitrage dans laquelle l'argent acquis illégalement est parié de sorte que le joueur peut garantir un rendement minimum de 90 %. Par exemple, en plaçant auprès de trois bookmakers distincts trois paris différents sur un même match de football : un sur une victoire à domicile, un sur un match nul et un sur une victoire à l'extérieur, le joueur ne risque tout au plus qu'une perte minime. En effet, deux paris seront perdants, mais le troisième se soldera forcément par un gain substantiel. Le joueur se retrouvera alors avec une somme plus ou moins équivalente à sa mise, et disposera en outre d'un reçu qui indique que l'argent a été gagné légalement.
Utilisation des biens immobiliers
Jusqu'au 1er avril 2023, l'achat d'un bien immobilier en Allemagne représentait une méthode particulièrement appréciée des criminels pour blanchir de l'argent, dans la mesure où, jusqu'à cette date, il était possible de réaliser ces transactions en espèces. Selon les estimations de l'organisation de lutte contre la corruption Transparency International, 15 à 30 % de l'ensemble des avoirs criminels en Allemagne ont été investis dans des biens immobiliers. Le marché immobilier allemand a par conséquent longtemps été le terrain de prédilection des criminels fortunés. Aujourd'hui encore, le système se heurte à un manque de transparence quant à l'identité des propriétaires. L'Allemagne ne dispose en effet d'aucun registre complet en la matière.
Fin 2022, la deuxième loi allemande sur l'application des sanctions (SDG II) est entrée en vigueur. En conséquence, il n'est, depuis avril 2023, plus possible d'acheter de bien immobilier au comptant. Cette nouvelle législation constitue une étape importante dans la lutte contre le blanchiment d'argent dans le secteur immobilier. Il s'agit par ailleurs d'une bonne nouvelle pour les acheteurs honnêtes, qui jusqu'alors subissaient une hausse de la demande et des prix en raison de ces transactions réalisées avec des fonds illégaux.
Mesures allemandes de lutte contre le blanchiment d'argent
En Allemagne, la loi sur le blanchiment d'argent (GwG) constitue le principal instrument public de lutte contre ce phénomène, qui y est caractérisé d'acte illégal passible de poursuites par les autorités. La législation allemande repose principalement sur la directive européenne contre le blanchiment d'argent (AMLD), qui doit être mise en œuvre dans le cadre des lois nationales. La GwG s'applique à la fois aux particuliers et à une grande diversité d'acteurs économiques. Pour commencer, les paiements et les transactions en espèces sont soumis à un plafond de 10 000 euros. Toute personne qui souhaite déposer une somme plus importante sur son compte bancaire doit fournir une preuve de l'origine de ces fonds. Il arrive même parfois que les établissements bancaires exigent de leurs nouveaux clients une preuve à partir d'un montant de 2 500 euros. Pour les particuliers, le plafond personnel de 10 000 euros s'applique également à l'achat de biens. À titre d'exemple, une personne qui souhaite acquérir un véhicule avec 12 000 euros en numéraire doit être prête à se soumettre à une vérification de sa situation personnelle. De même, les concessionnaires doivent conserver une trace écrite des transactions via un formulaire.
En vertu de la GwG, les acteurs économiques sont par ailleurs tenus de faire preuve d'une attention et d'une diligence particulières afin de contribuer à ce que tout blanchiment d'argent soit détecté le plus tôt possible. Parmi leurs missions figure la gestion efficace des risques. Il s'agit par exemple d'évaluer les risques liés à une contrepartie et de mettre en œuvre les mesures de sécurité individuelles, d'entreprise ou internes associées pertinentes. Toujours en vertu de la GwG, les entreprises sont tenues de faire preuve de diligence raisonnable. Elles doivent par conséquent être en mesure d'identifier sans équivoque les parties contractantes et d'obtenir des informations sur l'objet des transactions. De plus, tout signe d'activité illégale doit être signalé à la cellule allemande de renseignement financier (FIU). Ces signes incluent les paiements en espèces de plus de 10 000 euros, ainsi que le transport ou le stockage de sommes en liquide.
Sévérité des sanctions
Toute personne qui se livre au blanchiment d'argent en Allemagne ou enfreint les règles en la matière s'expose à d'importantes sanctions. Le blanchiment d'argent est puni d'une sanction pécuniaire ou d'une peine privative de liberté qui peut aller jusqu'à cinq ans, conformément à l'article 261 du StGB (Code pénal allemand). L'acte lui-même n'est toutefois pas le seul à faire l'objet de sanctions. Les entreprises ont également l'obligation de signaler toute activité suspecte susceptible d'indiquer un blanchiment d'argent. L'article 56 de la GwG prévoit des sanctions financières pouvant atteindre 150 000 euros en cas d'infraction. Les violations graves, répétées et systématiques exposent leurs auteurs à des amendes qui peuvent aller jusqu'à 5 millions d'euros ou 10 % du chiffre d'affaires de l'année précédente. En outre, les autorités administratives et de contrôle compétentes sont habilitées à divulguer sur leur site Web les décisions finales en matière d'amendes. L'identité des contrevenants est ainsi rendue publique.
Situation de l'Allemagne par rapport à d'autres pays
Le blanchiment d'argent est plus répandu en Allemagne que dans d'autres pays européens. En 2022, le pays qui présentait le risque LBC/FT (blanchiment de capitaux et financement du terrorisme) le plus élevé était la République démocratique du Congo, à laquelle avait été attribué le score de 8,3 (sur 10) dans le cadre du Basel AML Index . À l'inverse, la Finlande présentait le risque le plus faible, avec un score de seulement 2,88, tandis que l'Allemagne avait obtenu un score de 4,21.
Ce résultat s'explique en partie par l'existence dans ce pays d'un grand nombre de banques, y compris de petits établissements, et par la propension des Allemands à payer en liquide. L'Allemagne est également une destination attrayante pour le blanchiment d'argent en raison de sa stabilité politique et de sa puissance économique. Enfin et surtout, les poursuites judiciaires pour ce type de délits y avaient auparavant la réputation de traîner en longueur et de déboucher sur des sanctions relativement légères.
Cette situation a fait l'objet de critiques fréquentes de la part, entre autres, du Groupe d'action financière (GAFI), un organisme distinct de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Selon le GAFI, seul un millier d'individus auraient été poursuivis pour des délits de blanchiment d'argent en 2020 en Allemagne, alors que plus de 37 000 enquêtes ont été ouvertes. Il s'agit de l'une des raisons pour lesquelles l'Allemagne a souvent failli être ajoutée sur la liste grise, voire sur la liste noire, du GAFI. Ces listes sont respectivement utilisées pour recenser les régions placées sous surveillance et celles à haut risque en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.
Contrairement à une tendance générale à la baisse, le nombre de cas de blanchiment d'argent n'a cessé d'augmenter ces dernières années en Allemagne. Le montant associé s'élèverait à quelque 100 milliards d'euros chaque année. Et si 22 614 cas de blanchiment d'argent ont été enregistrés par la police pour la seule année 2022, le nombre de délits réels présumés est considérablement plus élevé. La même année, l'Office fédéral allemand de la police criminelle (BKA) a enregistré 203 cas impliquant le crime organisé et présentant des signes de blanchiment d'argent. Cela représente environ un tiers des enquêtes réalisées autour du crime organisé. En savoir plus sur l'évolution de la situation au cours des dix dernières années.
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