Comprendre le modèle économique du logiciel-service
Le logiciel-service est un modèle de facturation et de livraison de logiciel si efficace qu’il entraîne une restructuration totale des entreprises qui l’adoptent. Face à ce phénomène, les entreprises de logiciels-services ont dû mettre en place de bonnes pratiques propres à leur activité. Malheureusement, de nombreux entrepreneurs découvrent ces pratiques à leurs propres dépens, en répétant les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs au lieu d’en commettre de nouvelles, qui pourraient profiter à l’ensemble de la communauté.
Pour vous éviter cette perte de temps, nous vous proposons un état des lieux rapide de l’univers du logiciel-service. Vous pourrez ainsi vous familiariser avec ce modèle économique, déterminer s’il est préférable de vendre votre produit selon un modèle à faible ou forte interaction et, si vous êtes déjà à la tête d’une entreprise de logiciels-services, évaluer et optimiser son fonctionnement.
Si vous êtes un entrepreneur dans le domaine des logiciels et que vous ne vendez pas d’applications mobiles (qui ont un modèle de facturation distinct, imposé par les boutiques d’applications des plateformes), vous devez bien comprendre le fonctionnement du logiciel-service. Cela vous permettra de prendre de meilleures décisions pour votre produit (et votre entreprise), d’anticiper les problèmes susceptibles de menacer votre activité plusieurs mois, voire plusieurs années avant qu’ils ne surviennent, et vous aidera à communiquer avec les investisseurs.
Pourquoi le logiciel-service a-t-il tant de succès?
Les clients aiment ce modèle pour sa simplicité : il fonctionne bien et ne nécessite aucune installation. Avec le logiciel-service, les pannes matérielles et les erreurs opérationnelles, qui sont monnaie courante sur les machines non gérées par des techniciens, n’entraînent pas de pertes de données importantes. Les entreprises de logiciels-services atteignent des taux de disponibilité (pourcentage de temps où le logiciel est accessible et fonctionne correctement, par exemple) bien supérieurs à ceux auxquels peuvent prétendre la plupart des services informatiques (et même chacun d’entre nous, point final).
Par ailleurs, les logiciels-services sont perçus comme plus abordables que leurs équivalents traditionnels. C’est un facteur déterminant pour les utilisateurs qui ne savent pas encore quel logiciel adopter sur le long terme ou, au contraire, ont besoin d’un logiciel pour une courte période.
Les logiciels-services ont également la faveur des développeurs qui, à défaut de leur modèle de facturation, apprécient surtout leur modèle de distribution.
La plupart des logiciels-services sont développés en continu et exécutés sur l’infrastructure de l’entreprise. (Il existe des exceptions notables, mais l’écrasante majorité des logiciels-services destinés aux entreprises [B2B] ou aux consommateurs [B2C] et vendus hors entreprise sont accessibles sur Internet à partir de serveurs gérés par les éditeurs de logiciels.)
Les éditeurs de logiciels ne contrôlent jamais l’environnement d’exécution de leur code; il s’agit d’une source de problèmes récurrents pour les équipes de développement et les utilisateurs. Tous les logiciels déployés sur les appareils des clients font les frais des différentes configurations système, des interactions avec les autres logiciels en place et des erreurs des opérateurs. Cette situation pèse non seulement sur l’équipe de développement, mais aussi sur le service client qui doit faire face à une augmentation des demandes d’assistance. Les entreprises qui vendent leurs logiciels à la fois en mode logiciel-service et en version installable reçoivent généralement 10 fois plus de demandes d’assistance de la part des clients qui installent le produit localement.
Le logiciel-service est populaire auprès des entreprises et des investisseurs pour son modèle économique, bien plus attractif que la vente de licences logicielles. Les revenus générés par le logiciel-service sont généralement récurrents. Cela rend les flux de trésorerie des entreprises particulièrement prévisibles, permettant à celles-ci de planifier en conséquence et de monétiser (via les investisseurs) leurs flux de trésorerie futurs pour financer leur croissance actuelle. Les entreprises de logiciels-services présentent ainsi des taux de croissance parmi les plus élevés de l’histoire du secteur des logiciels.
Modèles de vente des logiciels-services
Il existe, au sens large, deux manières de vendre un logiciel-service. Le choix du modèle de vente est crucial, car il détermine presque tous les autres aspects de l’entreprise et du produit, et ce, dans une proportion inimaginable pour les néo-entrepreneurs. Une erreur fréquemment commise par les entreprises de logiciels-services (et particulièrement difficile à corriger) est l’incompatibilité entre un produit ou un marché donné et le modèle de vente choisi.
Dans le monde du logiciel-service, le modèle de vente en dit plus sur un produit (et une entreprise) que toute autre caractéristique, telle que le choix de la clientèle ciblée (particuliers ou professionnels), le type de financement (ressources propres ou investisseurs en capital-risque) ou la technologie sur laquelle repose le logiciel.
Modèle de vente de logiciel-service à faible interaction
Certains produits se vendent d’eux-mêmes.
Les logiciels-services à faible interaction sont conçus pour être vendus sans recourir à une interaction humaine poussée. Les principaux canaux de vente sont le site Web du logiciel, le marketing par courriel et (très souvent) un essai gratuit du logiciel. Cette version d’essai est fortement optimisée pour faciliter la prise en main et l’adhésion au logiciel-service, et pour finir donner envie de poursuivre son utilisation.
La vente de produits à faible interaction nécessite parfois de recourir à des équipes commerciales, mais le rôle de ces dernières consiste moins à convaincre des clients potentiels d’acheter le logiciel qu’à assurer l’inscription des utilisateurs de la version d’essai et leur conversion en utilisateurs payants.
L’assistance client pour les produits à faible interaction est généralement organisée de manière progressive. L’accent est mis sur l’optimisation du produit (afin d’éviter les incidents susceptibles de nécessiter une intervention humaine), la création de ressources didactiques fournies à l’ensemble de la clientèle et le recours à des ressources humaines en dernier ressort. Cela dit, de nombreuses entreprises à faible interaction sont dotées d’excellentes équipes d’assistance à la clientèle. Comme le modèle économique des logiciels-services dépend de la satisfaction des clients sur le long terme, même une entreprise dont le produit ne devrait pas générer plus d’une intervention (une interaction avec un client) tous les 20 mois par client est susceptible d’investir massivement dans l’assistance à la clientèle.
Les logiciels-services à faible interaction sont généralement vendus sous forme d’abonnement mensuel sans engagement, au tarif moyen de 10 $ pour les applications grand public, et de 20 à 500 $ pour les applications interentreprises. Ces chiffres correspondent à une valeur contractuelle moyenne tournant autour de 100 à 5 000 $ par an. Bien que la majorité des entreprises de logiciels-services à faible interaction n’utilisent pas l’indicateur de valeur contractuelle moyenne, préférant se fier à leurs tarifs mensuels, il permet néanmoins d’établir des comparaisons avec les applications de logiciels-services à forte interaction.
Le revenu récurrent mensuel (RRM) est assurément l’indicateur le plus important pour toute entreprise de logiciel-service à faible interaction.
Basecamp est l’exemple typique d’une entreprise de logiciels-services à faible interaction.Atlassian (qui vend Jira, Trello, Confluence et plusieurs autres produits) est probablement l’entreprise cotée en bourse qui connaît le plus grand succès avec ce modèle.
Ventes de logiciels-services à forte interaction
Certains clients ont besoin d’aide pour décider comment ou s’ils doivent adopter certains produits.
Le modèle de vente de logiciels-services à forte interaction mise essentiellement sur l’interaction humaine pour convaincre des entreprises d’adopter, de mettre en œuvre et d’utiliser un logiciel.
L’équipe des ventes, presque toujours au cœur de l’organisation, se répartit les rôles : les représentants de développement commercial identifient les clients potentiels, les responsables de grands comptes sont chargés de la gestion commerciale de clients particuliers et les gestionnaires de compte veillent à la satisfaction et au maintien du rendement d’un portefeuille de clients.
L’équipe commerciale est généralement épaulée par le service du marketing, dont la principale tâche consiste à générer un volume suffisant de clients potentiels intéressés pour que l’équipe commerciale puisse les évaluer et les convertir.
Bien que d’excellents logiciels soient vendus par l’intermédiaire du modèle à forte interaction, l’ingénierie et le produit sont généralement considérés comme de moindre importance par les entreprises de logiciels-services qui l’adoptent, car elles misent avant tout sur leur force de vente.
L’organisation de l’assistance à la clientèle varie fortement entre les entreprises de logiciels-services à forte interaction, mais ce service joue en général un rôle essentiel. Le nombre de demandes d’intervention par compte et par période est habituellement bien supérieur à celui généré par un logiciel-service à faible interaction.
Il convient de noter que, même s’il est en principe possible de vendre un produit à forte interaction à des particuliers (par exemple, une assurance est traditionnellement vendue par l’intermédiaire de courtiers), une écrasante majorité d’entreprises de logiciels-services à forte interaction vendent leurs produits à d’autres entreprises. Au sein du secteur interentreprises, les profils types de clients, les valeurs contractuelles moyennes et la complexité des ventes varient énormément.
Les logiciels-services vendus à des petites et moyennes entreprises (PME) selon un modèle à forte interaction présentent généralement une valeur contractuelle moyenne allant de 6 000 à 15 000 $, voire plus. Bien que la définition d’une PME puisse varier sensiblement d’une personne à l’autre, il s’agit concrètement « d’une entreprise suffisamment avancée pour adopter avec succès un logiciel valant 10 000 $ », ce qui exclut probablement votre fleuriste de quartier, mais pas un cabinet dentaire comptant deux praticiens et quatre employés.
Les « grands comptes » correspondent aux entreprises ou aux organismes publics de très grande taille. Les contrats de ce type, qui commencent généralement avec des montants à six chiffres, n’ont pas de plafond.
L’indicateur le plus important pour tout entrepreneur de logiciel-service à forte interaction est sans aucun doute le revenu récurrent annuel. Il s’agit de l’ensemble des revenus de l’entreprise, moins les pertes dues à la résiliation et certains postes non récurrents, comme les frais initiaux ponctuels, les services de conseil et d’autres postes similaires. Étant donné que l’intérêt économique du modèle de logiciel-service repose sur une croissance durable, les revenus ponctuels, notamment ceux présentant une marge relativement faible, n’ont pas de véritable attrait aux yeux des entrepreneurs ou des investisseurs.
Salesforce est l’exemple parfait d’une entreprise de logiciels-services à forte interaction, et elle a littéralement écrit le livre du modèle. Il existe une multitude de petites entreprises de logiciels-services à forte interaction, bien qu’elles soient moins visibles que celles à faible interaction, principalement parce que la visibilité est une stratégie d’acquisition de clients pour les premières, qui ne convient pas toujours aux secondes. Par exemple, il existe de nombreuses petites entreprises de logiciels-services qui gagnent sans faire de bruit un revenu à six ou sept chiffres par an en vendant des services à un secteur vertical étroitement défini.
Approches de vente hybrides
Certaines entreprises parviennent à réunir les modèles à faible et à forte interaction autour d’un même produit. Elles demeurent, cependant, excessivement rares parmi les entreprises de logiciels-services. L’association simultanée de ces deux modèles aboutit généralement au succès d’un seul, qui en vient à étouffer l’autre, car ces modèles s’entremêlent à tous les niveaux de l’entreprise.
Une approche hybride plus répandue consiste à adopter certains éléments de l’autre modèle commercial. Par exemple, de nombreuses entreprises de logiciel-service à faible interaction sont dotées d’une équipe de réussite client, qui se consacre à la fidélisation des clients et dont le rôle s’apparente à celui d’une équipe commerciale interne. Les entreprises à forte interaction empruntent généralement moins de stratégies aux entreprises à faible interaction, mais la plus utilisée est la suivante : distribuer un produit secondaire selon un modèle à faible interaction afin de générer des clients potentiels pour leur produit phare.
Équation fondamentale du logiciel-service
Le modèle de logiciel-service ne consiste pas à vendre un logiciel à prix fixe, mais à le transformer en instrument financier dont le flux de trésorerie peut être estimé à l’aide d’une méthode probabiliste.
Il existe des manières plus sophistiquées de modéliser une entreprise de logiciel-service, mais la stratégie de base part d’hypothèses simplifiées (par exemple en ignorant la valeur-temps de l’argent) et utilise des notions de mathématiques de niveau secondaire. S’il n’y avait qu’une chose à retenir sur le logiciel-service, ce serait cette équation. Il s’agit de la clé qui permet de comprendre tous les aspects fondamentaux d’une entreprise de logiciel-service.
L’idée de base est très simple : les revenus à long terme correspondent au nombre de clients multiplié par leur valeur à vie moyenne.
Le nombre de clients acquis est le produit de deux facteurs : le taux d’acquisition (l’efficacité avec laquelle vous attirez l’attention de clients potentiels dans le cas d’un modèle de logiciel-service à faible interaction ou celle avec laquelle vous les identifiez et entrez en contact avec eux dans le cas d’un modèle de logiciel-service à forte interaction) multiplié par votre taux de conversion (le pourcentage de clients potentiels que vous convertissez en clients payants).
Le revenu moyen par client (souvent appelé valeur à vie [LTV]) est le produit de ce qu’il paie pour une période donnée (par exemple, un mois) et du nombre de périodes pendant lesquelles il continue à utiliser votre service.
Le revenu moyen par utilisateur (RMPU) est simplement le revenu moyen d’un compte sur une période donnée.
Le taux de résiliation correspond au pourcentage de clients qui cessent de payer pour un service sur une période donnée. Par exemple, si vous passez de 200 clients payants en janvier à 190 en février, votre taux de résiliation est de 5 %.
La valeur à vie du client peut, à l’aide de quelques hypothèses simplificatrices, être calculée comme la somme d’une série géométrique infinie. Cela revient simplement à prendre l’inverse du taux de résiliation. Un produit qui perd 5 % de ses clients par mois a une durée de vie client prévue de 20 mois. Si l’entreprise facture 30 dollars par mois à chaque client, elle a un revenu prévu sur la durée de vie de 600 dollars par nouveau client inscrit.
Répercussions du modèle économique de logiciel-service
Les améliorations apportées à une entreprise de logiciel-service ont un effet multiplicateur.
Une augmentation de 10 % du taux d’acquisition client (grâce à une meilleure stratégie marketing, par exemple) et une augmentation de 10 % du taux de conversion (grâce à l’amélioration du produit ou à des techniques de vente plus efficaces, par exemple) permettent d’obtenir une augmentation de 21 % (1,1 x 1,1), et non pas de 20 %.
Les améliorations apportées à une entreprise de logiciel-service génèrent un effet de levier incroyable.
Les marges associées aux logiciels-services sont si élevées que la valorisation à long terme d’une entreprise de logiciel-service correspond à un multiple de la croissance de ses revenus à long terme. De ce fait, une amélioration de 1 % du taux de conversion n’entraîne pas uniquement une hausse de 1 % du revenu le mois suivant (ni même sur le long terme), mais une hausse de 1 % de la valeur de l’entreprise.
Les prix constituent le principal levier d’amélioration d’une entreprise de logiciel-service.
L’amélioration de l’acquisition, la conversion et la résiliation nécessitent souvent des efforts interfonctionnels majeurs. La mise à jour de votre modèle de tarification nécessite généralement de remplacer un petit nombre par un plus grand. (Il existe suffisamment de nuances sur ce sujet pour justifier la rédaction d’un guide de tarification des logiciels-services.)
À terme, les courbes de croissance des entreprises de logiciels-services stagnent.
Une entreprise aux taux d’acquisition, de conversion et de résiliation fixes verra, à terme, sa courbe de revenus atteindre un plateau. Il est possible d’anticiper cette situation : le nombre de clients au niveau du plateau est égal au produit des taux d’acquisition et de conversion, divisé par le taux de résiliation.
Une entreprise de logiciel-service qui n’est plus en mesure d’améliorer ses taux d’acquisition, de conversion et de résiliation est condamnée, de manière quasi certaine, à stagner. De la même façon, une entreprise de logiciel-service dont la croissance s’immobilise alors que ses coûts fixes (les salaires de l’équipe d’ingénieurs, par exemple) ne sont pas encore couverts est condamnée à disparaître, même si aucune erreur de gestion n’a été commise.
Les entreprises de logiciels-services peuvent nécessiter d’importants capitaux pour se développer.
Les entreprises de logiciels-services engagent des coûts importants pour se développer, notamment si elles visent une forte croissance. Les frais de marketing et de vente constituent une part importante du coût marginal par client et, souvent, des dépenses totales de l’entreprise. Les frais de marketing et de vente associés à un client donné sont engagés aux tout premiers stades du cycle de vie du client, tandis que le revenu qui compensera ces coûts est généré ultérieurement.
Autrement dit, une entreprise de logiciel-service qui optimise sa croissance en termes de revenus dépensera presque toujours plus d’argent au cours d’une période donnée qu’elle n’en recevra de ses clients. L’argent dépensé doit provenir de quelque part. De nombreuses entreprises de logiciels-services choisissent de financer leur croissance en vendant des parts de leur capital à des investisseurs. En effet, elles sont particulièrement attrayantes pour les investisseurs, car leur modèle est très bien compris : il s’agit de créer un produit, d’atteindre un certain niveau d’adéquation entre le produit et le marché, de dépenser beaucoup d’argent en marketing et en ventes selon un plan d’action relativement reproductible, et finalement de vendre sa participation dans l’entreprise à quelqu’un d’autre (les marchés publics, un acquéreur ou un autre investisseur à la recherche d’une entreprise sans risque et présentant un bon potentiel de croissance).
Les marges, à première vue, ont peu d’importance.
La plupart des entreprises se soucient en revanche bien plus du coût des produits vendus (CPV), à savoir le coût nécessaire pour satisfaire un client marginal.
Si certaines plateformes (comme AWS) ont un CPV élevé, la principale source de valeur d’une entreprise de logiciel-service type est généralement le logiciel, qui peut être répliqué moyennant un CPV extrêmement faible. Les entreprises de logiciels-services consacrent souvent moins de 5 à 10 % de leur revenu marginal par client à la distribution de leur service.
Cette particularité leur permet de pratiquement ignorer tous les indicateurs, à l’exception du coût d’acquisition client (CAC), à savoir les dépenses marketing et commerciales supplémentaires engagées par nouveau client. En cas de croissance rapide, l’entreprise peut ignorer toutes les dépenses qui ne dépendent pas directement du nombre de clients (comme les coûts d’ingénierie, les frais généraux et administratifs, etc.) en partant du principe qu’une croissance avec un CAC raisonnable lui permettra de compenser ses dépenses comptables.
Les entreprises de logiciels-services ont besoin de temps pour se développer.
Alors que les articles sur les courbes de croissance dites « en crosse de hockey » sont monnaie courante dans la presse, l’expérience représentative des entreprises de logiciels-services montre qu’il leur faut beaucoup de temps pour mettre au point leur produit, leurs stratégies marketing et leurs approches commerciales avant que les choses ne commencent à vraiment bien fonctionner. Ce phénomène a été qualifié de longue et lente ascension du logiciel-service.
Les perspectives de croissance varient considérablement au sein du secteur.
Les entreprises de logiciels-services financées par des fonds propres mettent souvent 18 mois avant d’atteindre un niveau de rentabilité qui leur permet d’être concurrentielles et de verser des salaires raisonnables à leurs fondateurs. Une fois ce stade atteint, elles peuvent s’attendre à des taux de croissance acceptables. Une croissance annuelle comprise entre 10 et 20 % peut engendrer des résultats extrêmement satisfaisants pour toutes les parties prenantes.
Les entreprises de logiciels-services qui ont recours au financement doivent sacrifier leur trésorerie pour soutenir leur croissance. Autrement dit, elles sont conçues de sorte à perdre beaucoup d’argent pendant la phase de perfectionnement de leur modèle. C’est un passage obligé pour toute entreprise de logiciels-services de ce type.
Une fois leur modèle de revenus finalisé, elles le développent, ce qui engendre généralement des pertes plus importantes à un rythme plus rapide. Bien qu’elle soit favorable à l’entreprise, cette évolution défie toute logique aux yeux de nombreux observateurs du secteur. Si l’entreprise poursuit sa croissance, elle sera en mesure de combler toutes ses pertes, même les plus conséquentes. Si la croissance n’est pas au rendez-vous, alors l’entreprise fait faillite.
Les entreprises de logiciels-services qui se développent progressivement sont bien plus nombreuses que celles qui adoptent une stratégie de croissance agressive. Cette situation peut s’expliquer par la métaphore de la fusée qui brûle énormément de combustible pour obtenir l’accélération souhaitée, mais dont le risque d’explosion en plein vol est réel en cas d’erreur.
La formule permettant d’estimer le taux de croissance d’une entreprise de logiciel-service prospère qui cible une forte croissance est 3, 3, 2, 2, 2. Ainsi, avec une valeur de départ significative (par exemple, plus d’un million de dollars de revenus récurrents annuels [RRA]), l’entreprise a besoin de tripler ses revenus annuels pendant deux années consécutives, puis de les doubler pendant trois années consécutives. Une entreprise de logiciel-service qui a recours au financement et qui maintient un taux de croissance annuelle de 20 % à ses débuts est plus ou moins vouée à l’échec aux yeux de ses investisseurs.
Indicateurs clés
« Mes chiffres sont-ils bons? ». C’est l’une des questions que se posent la plupart des fondateurs d’entreprises de logiciels-services.
Or, il n’est pas simple d’y répondre en raison des différences qui existent entre les secteurs, les modèles économiques, les divers stades de développement d’une entreprise et les objectifs des fondateurs. Cela dit, les entrepreneurs les plus chevronnés du secteur du logiciel-service suivent généralement certaines règles empiriques.
Indicateurs pour les entreprises de logiciels-services à faible interaction
Taux de conversion
La plupart des entreprises qui commercialisent des solutions de logiciel-service à faible interaction proposent une version d’essai à laquelle l’utilisateur s’inscrit en fournissant un minimum de renseignements ou des informations de carte de crédit (débitée uniquement si l’essai n’est pas annulé). Ce choix est déterminant dans l’issue de l’essai gratuit : les utilisateurs qui s’inscrivent à un essai peu contraignant risquent de ne pas évaluer sérieusement le logiciel et d’hésiter à s’engager à la fin de la période d’essai. En revanche, ceux qui ont fourni un numéro de carte de crédit ont en général effectué davantage de recherches en amont et sont déterminés pour la plupart à payer, sauf s’ils sont déçus par le produit.
Cette nuance engendre des taux de conversion très différents :
_Taux de conversion des essais de logiciels-services à faible interaction sans numéro de carte de crédit : _
- nettement inférieur à 1 % : témoigne généralement d’une mauvaise adéquation du produit au marché;
- ~1 % : indique un alignement globalement adéquat;
- plus de 2 % : correspond à un résultat très satisfaisant.
_Taux de conversion des essais de logiciels-services à faible interaction avec un numéro de carte de crédit requis : _
- nettement inférieur à 40 % : témoigne généralement d’une mauvaise adéquation du produit au marché;
- 40 % : indique un alignement globalement adéquat;
- 60 % : correspond à un bon résultat.
Exiger un numéro de carte de crédit en amont a tendance à augmenter le nombre de nouveaux clients payants. En effet, cette option améliore le taux de conversion plus qu’elle ne réduit le nombre de souscriptions à la version d’essai. Ce rapport s’inverse au fur et à mesure que l’entreprise renforce ses relations avec les clients et perfectionne la procédure d’activation des utilisateurs d’essais gratuits (en veillant à ce qu’ils utilisent efficacement le logiciel), généralement via l’amélioration de l’expérience du produit, l’envoi de courriels tout au long du cycle de vie, et la mise en place d’équipes de réussite client.
_Taux de conversion (vers les versions d’essai) : _
Il est recommandé de mesurer le taux de conversion entre le moment où votre site est consulté et le début des essais. Toutefois, cet indicateur n’est pas facile à exploiter, même pour définir de potentielles orientations.
Le taux de conversion vers l’essai gratuit dépend fortement du type de visiteurs que vous attirez. Étonnamment, les entreprises qui excellent dans l’art du marketing présentent des taux de conversion inférieurs aux entreprises moins compétentes dans ce domaine.
En effet, les entreprises dotées de stratégies marketing efficaces tendent à attirer davantage de clients potentiels dont le profil ne correspond pas à l’offre. Inversement, les entreprises moins douées en marketing attirent uniquement les connaisseurs, qui tendent à devenir de bons clients : frustrés par le statu quo et activement à la recherche de solutions, ils sont prêts à faire confiance à une entreprise inconnue si elle offre la moindre perspective d’amélioration. Les autres clients potentiels sont généralement moins proactifs et ont tendance à se contenter de l’offre des acteurs connus ou bien référencés sur Google. Les convaincre de faire confiance à un nouveau fournisseur n’est pas une mince affaire.
Taux de résiliation des clients
Étant donné que les clients des entreprises de logiciels-services à faible interaction ont pour la plupart des contrats mensuels, les taux de résiliation sont estimés chaque mois. (Il peut être intéressant de vendre des comptes annuels, car ils permettent d’encaisser des liquidités et offrent des taux de résiliation plus bas. Cependant, l’incidence de ces derniers est généralement prise en compte dans le calcul du chiffre mensuel.)
- 2 % : témoigne d’un produit de logiciel-service avec une forte fidélisation et une bonne adéquation du produit au marché, conjugué à des investissements conséquents pour réduire la résiliation involontaire.
- 5 % : correspond au point de départ attendu.
- 7 % : indique que votre stratégie pour éviter la résiliation volontaire n’est pas suffisante ou que vous évoluez dans un marché difficile.
- plus de 10 % : témoigne d’une mauvaise adéquation du produit au marché et représente un véritable danger pour l’entreprise.
Certains marchés présentent, de par leur structure, un taux de résiliation supérieur à d’autres : une entreprise qui vend à des « prosommateurs » ou à des entreprises informelles comme les travailleurs autonomes s’expose au risque que ces derniers cessent leur activité, ce qui se répercute sensiblement sur son taux de résiliation. Les entreprises mieux implantées font bien plus rarement faillite et éprouvent beaucoup moins le besoin d’optimiser leurs flux de trésorerie à 50 dollars près.
Comme des niveaux de prix plus élevés attirent de meilleurs clients, une augmentation des prix s’avère d’une efficacité inattendue : __ une augmentation de 25 % peut ainsi aboutir à une réduction « fortuite » du taux de résiliation de 20 %, simplement en modifiant la composition de la clientèle. __Ce facteur amène un très grand nombre d’entreprises de logiciels-services à faible interaction à vendre à une clientèle « haut de gamme ».
Indicateurs pour les entreprises de logiciels-services à forte interaction
Le calcul et les valeurs des taux de conversion des entreprises de logiciels-services à forte interaction sont beaucoup plus hétérogènes – en grande partie en raison de la façon dont elles définissent une « occasion » – mais aussi du fait des particularités de leur secteur, processus de vente, etc.
Les taux de résiliation, cependant, sont très homogènes : un taux de résiliation annuelle d’environ 10 % n’a rien d’alarmant pendant les premières années d’une entreprise et 7 % est un excellent taux. Il faut noter que les entreprises de logiciels-services à forte interaction qui enregistrent des résultats médiocres présentent un taux de résiliation bien plus bas que les entreprises de logiciels-services à faible interaction les plus performantes. Cette différence s’explique tout simplement par leur structure.
Les entreprises à forte interaction mesurent souvent la résiliation en termes de « logo » (une entreprise correspond à un logo, quel que soit le nombre de ses filiales qui utilisent le logiciel, le nombre de licences qu’elles utilisent, le montant qu’elles paient, etc.) et de perte de revenus. Cet aspect est moins important chez les entreprises de logiciels-services à faible interaction, car ces deux chiffres sont généralement assez similaires.
Les entreprises de logiciels-services à forte interaction fixent généralement le prix de leurs offres de sorte à augmenter leur chiffre d’affaires tout au long du cycle de vie d’un client, notamment en vendant davantage de licences et en proposant des produits complémentaires. Par conséquent, un grand nombre d’entre elles s’intéressent plus à la perte de revenus nette, qui correspond à l’écart de revenus par cohorte et par an. L’indicateur privilégié des entreprises de logiciels-services à forte interaction est la perte de revenus nette négative : les mises à niveau, la prolongation des contrats d’une année sur l’autre et les ventes additionnelles à des clients existants ont plus de répercussions sur le revenu que les clients qui résilient leur contrat ou utilisent moins le logiciel. (Quasiment aucune entreprise de logiciel-service à faible interaction ne connaît de perte de revenus nette négative : leur taux de résiliation est trop élevé pour être compensé.)
Adéquation entre le produit et le marché
Le secteur du logiciel-service ne se résume pas à des indicateurs. La chose la plus difficile à quantifier au début de la vie d’une entreprise spécialisée dans le logiciel-service est ce qu’on appelle l’adéquation du produit au marché, une expression inventée par Marc Andreessen, qui signifie en gros « Avez-vous trouvé un groupe de personnes qui adorent ce que vous avez créé pour elles? »
Les produits qui ne sont pas encore adaptés au marché souffrent de taux de conversion relativement faibles et de taux de résiliation élevés. Les produits adaptés à leur marché bénéficient souvent d’un taux de croissance en constante progression et d’un taux de conversion bien supérieur, et sont généralement plus agréables à utiliser.
Les entrepreneurs de logiciels-services décrivent généralement l’adéquation entre le produit et le marché dans ces termes : « Si votre produit est adapté au marché, vous le saurez. Si vous avez le moindre doute, c’est que vous n’y êtes pas encore ». Dans un cas, les clients se jetteront littéralement sur votre produit, et dans l’autre, il vous faudra presque leur forcer la main.
Un grand nombre de modèles économiques de logiciels-services ne proposaient pas d’emblée un produit adapté au marché. Des mois, voire des années d’expérimentation sont parfois nécessaires pour y parvenir. Au cours des itérations de développement, il est nécessaire de parler avec le plus de clients possible, quitte à trouver un prétexte pour communiquer littéralement avec tous les utilisateurs d’essais gratuits. Si cette démarche n’est pas économiquement viable, il en va de même pour une entreprise de logiciel-service dont les produits ne sont pas adaptés au marché. Elle est donc largement justifiée par les nombreux enseignements que vous en tirerez.
Pour adapter votre produit au marché, vous ne devez pas vous contenter de prendre en compte les demandes de fonctionnalités et de les développer. Vous devez également prêter attention aux remarques communes de vos meilleurs clients et les exploiter. Cette stratégie peut entraîner des changements sur le plan du marketing, de la communication et de la conception du logiciel-service, afin de mieux cibler les besoins des meilleurs clients.
Qui sont les « meilleurs » clients? En règle générale, il s’agit des segments de clientèle (par secteur, taille, profil d’utilisateur ou autres critères similaires) pour lesquels vous obtenez des taux de conversion élevés, des taux de résiliation faibles et (presque toujours) des valeurs annuelles de contrat relativement élevées. L’évolution la plus répandue chez les entreprises de logiciels-services à faible interaction consiste à lancer un produit destiné à un large éventail d’utilisateurs qui présentent différents degrés de sophistication, puis de concentrer ses efforts sur une ou deux niches à destination des utilisateurs les plus sophistiqués.
Stripe Atlas publiera prochainement des guides sur la recherche de l’adéquation entre le produit et le marché, la constitution d’une entreprise, les entretiens avec les utilisateurs et l’optimisation de tous les aspects de votre activité en ligne. Pour en savoir plus, veuillez nous fournir votre adresse courriel. Si vous avez des suggestions concernant d’autres guides qui pourraient être utiles à votre activité en ligne, écrivez-nous à l’adresse atlas@stripe.com.
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